Production
ouvrage constitue la version révisée d’une thèse de doctorat en histoire, préparée sous la direction du professeur Bernard Heyberger (Jean-Baptiste Minnaert co-directeur) dans le cadre de l’équipe EMAM de l’UMR 6173 CITERES (aujourd’hui UMR 7324), et soutenue à l’Université François-Rabelais de Tours en 2007. Il présente les transformations urbaines de la ville de Fès pendant la période du Protectorat français : la création de la ville nouvelle, mais aussi les changements ayant affecté sa partie intra muros – la médina.
2Charlotte Jelidi utilise les sources formelles et officielles de l’histoire du Maroc colonial, tout en en donnant une lecture critique qui permet de les contextualiser et de les lire avec une perspective soigneuse de l’historiographie la plus récente. À côté de ces sources, elle puise dans les documents locaux pour nous donner un récit dense du demi-siècle qui a vu la profonde transformation de l’ancienne capitale du Maroc. L’organisation des sources sur trois niveaux – l’historiographie officielle, les archives coloniales françaises, qui se trouvent à Nantes, et les documents conservés dans les fonds d’archives locales accessibles aux chercheurs à Fès et à Rabat – permet à l’auteure de restituer et de décrire des pans entiers de micro-histoire locale et de les introduire dans les grands récits coloniaux et postcoloniaux.
3L’exercice permet de révéler au moins trois aspects fondamentaux du développement de la ville durant la période du Protectorat, aspects qui ont jusqu’à présent été largement sous-évalués par l’historiographie.
4En premier lieu, une réévaluation du rôle des Marocains dans la production urbaine : classiquement, leur participation dans la fabrique des villes nouvelles n’a été considérée qu’en tant qu’ils ont constitué l’essentiel de la main-d’œuvre mobilisée sur les chantiers de construction ou de travaux publics, tandis que C. Jelidi montre, documents à l’appui, qu’un nombre non négligeable de ceux que, à l’époque, on appelait les « indigènes » ont joué le rôle d’investisseurs aux fins de s’établir comme propriétaires dans la ville nouvelle. Finalement, l’ouvrage constitue une étude d’histoire urbaine qui rappelle, paradoxalement, que même entre 1912 et 1956, vivaient en ces villes des Marocains et que ces derniers pouvaient jouer un rôle dans les processus de production des espaces urbanisés…
5En second lieu, l’exploitation fine des sources que l’on pourrait estimer secondaires, voire mineures – documents administratifs locaux, informations sur le fonctionnement au jour le jour des services techniques de la municipalité de Fès, etc. –, permet de rendre compte des tâtonnements permanents qui président à la conception, puis aux débuts de réalisation de la ville nouvelle, de même qu’elle fournit maints exemples qui éclairent les interactions continues qui s’établissent entre les volontés de réalisation et les limites réelles qui s’opposent ou freinent la concrétisation du projet de la ville nouvelle. La forme et l’aspect du quartier tels qu’imaginés par ses concepteurs interagissent avec les contraintes locales, économiques, sociales, mais également – et on pourrait dire surtout – avec les impératifs conjoncturels, pour parvenir à ce qui est devenu, in fine, la ville nouvelle de Fès.
6Enfin, l’exposition de nombreux petits conflits – relatifs aussi bien aux prix fonciers qu’à la valeur des immeubles, au statut des acteurs qu’à l’esthétique des façades, etc. – et la présentation argumentée des solutions envisagées – et parfois appliquées – pour les résoudre nous permettent de mieux comprendre quelles en ont été (ou pas) les traductions matérielles dans l’espace. Elles donnent aussi l’occasion de revenir sur le cas d’autres villes en examinant avec de nouvelles lunettes les problèmes auxquels elles ont été confrontés à la même période, ainsi que de réinterroger aussi bien les documents historiques que le cadre bâti actuel à partir d’hypothèses inédites. Ces conflits donnent aussi à l’auteur l’occasion, de temps en temps, d’amuser le lecteur en révélant quelques fragments de la vie quotidienne dans la cité de Fès.
7L’auteure est parvenue à rendre homogène le corpus des sources et des références qu’elle a utilisé, qu’il s’agisse de textes, d’images, de cartes ou plans – tous documents dont les sources sont systématiquement signalées –, ce qui lui permet d’en faire un usage croisé. Il en résulte logiquement que, à la lecture de son ouvrage, prévaut l’impression que l’on plonge dans la vie sociale pendant le Protectorat, aidés en cela par les images d’époque et par des citations bien choisies. On regrettera toutefois qu’un tableau de correspondance entre les noms des rues de la période coloniale et celles d’aujourd’hui ne soit pas disponible, car cela aurait bien aidé le lecteur du XXIe siècle, en lui fournissant des repères lui permettant de se « raccrocher » à la Fès contemporaine, de mieux se situer dans l’espace et, finalement, de mieux comprendre la signification de certaines explications et analyses de l’auteure.
8En définitive, cet ouvrage permet une connaissance plus approfondie de la ville de Fès. Il restitue utilement aux acteurs « indigènes » une place qui leur est encore aujourd’hui trop mesurée. Il serait de ce fait vraiment utile de pouvoir disposer d’études semblables, exploitant aussi rigoureusement des sources locales, pour les autres villes nouvelles du Maroc.
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Document annexe
Couverture C. Jelidi (image/jpeg – 2,2M)
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Pour citer cet article
Référence électronique
Romeo Carabelli, « Fès, la fabrication d’une ville nouvelle. 1912-1956
de Charlotte Jelidi », Les Cahiers d’EMAM [En ligne], 26 | 2015, mis en ligne le 16 juillet 2015, consulté le 10 décembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/emam/1016 ; DOI : https://doi.org/10.4000/emam.1016
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Auteur
Romeo Carabelli
Architecte-Urbaniste, Ingénieur de recherche au laboratoire CITERES (UMR 7324)
romeo.carabelli@gmail.com
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Droits d’auteur
Les Cahiers d'EMAM est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.
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